La culture a signé notre entrée au forceps dans la modernité de type occidental. C’est, en effet, sous les auspices de la fameuse « mission civilisatrice » de l’Occident que l’aventure coloniale débuta et se perpétua. Aujourd’hui, l’Afrique noire dite francophone n’est pas encore sortie du carcan culturel colonial. Elle attend toujours cette Renaissance culturelle que les hérauts de la Négritude avaient prophétisée avant que de la fourvoyer en choisissant délibérément les armes culturelles de l’ennemi. Vous avez dit culture ? Je sors mon révolver, comme le disait le nazi. Ici, ce serait plutôt, je sors mon héritage colonial, je rends folklorique ma tradition nègre, j’exhibe mon jeune danseur de zouglou des quartiers populaires. C’est que nous vivons de façon problématique et dramatique trois cultures, sans avoir encore réussi une synthèse heureuse qui serve à la fois l’équilibre de notre société et son développement harmonieux.
La culture occidentale sous sa forme française nous a été imposée par la colonisation : une culture tronquée, instrumentalisée, utilitaire. La culture africaine traditionnelle a été vidée de son noyau créateur et n’en finit pas de mourir. Et la culture, que j’appellerais faute de mieux, la culture jeune est un salmigondis des sous-cultures des banlieues et ghettos de l’Occident mâtinées des créations de nos bidonvilles et quartiers populaires, une culture de télé, de boîtes de nuit et de la rue. De quelle culture parlons-nous à tout bout de champ et laquelle voulons-nous promouvoir pour notre développement ?
Vouloir privilégier la culture occidentale sous couleur de progrès et de modernité, c’est retomber dans l’impasse tragique de la colonisation. Retourner aux sources, comme les lametins vont boire à la source, c’est commettre le péché d’anachronisme et sacrifier l’élan créateur qui renouvellera et modernisera notre culture ancestrale. S’abandonner aux mirages de la culture jeune, c’est lâcher la proie pour l’ombre, confondre la culture et son épiphénomène. Il nous faut donc, pour réussir notre Renaissance et affirmer notre identité culturelle, commencer par le commencement en valorisant notre patrimoine ancien, notre tradition, non plus vécue comme un héritage univoque et archaïque, mais complexe, contradictoire, riche de plusieurs sens, de plusieurs valeurs, ouverte à tous les adaptations et innovations.
Il faut connaître notre histoire, sauvegarder et promouvoir nos langues, défendre nos valeurs de civilisation, encourager les initiatives et les créations dans les domaines de l’art, l’architecture, la musique, la philosophie, la religion, l’économie, les sciences et les techniques. C’est dans ce dernier domaine que l’Afrique doit le plus faire sa mue pour s’adapter à son siècle et pour se donner les moyens d’une véritable transformation de ses sociétés et de ses cultures. La culture est au cœur de la problématique de notre développement. Tout compte fait, le développement n’est-ce pas le nouveau nom de la culture ? Il nous faut sauvegarder notre patrimoine ancestral, mais surtout renouer avec la créativité pour entrer dans le nouveau millénaire avec une culture moderne, facteur d’enracinement mais aussi d’ouverture et de progrès.
Jean Noël Loucou